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Éditions Un jour / Une nuit
21 décembre 2013

Pierre Michel, rédacteur en chef des Cahiers Octave Mirbeau nous fait l'honneur d'un commentaire...

• Daniel VILLANOVA, La Croisade des Rabat-Joie (No gazarán !), Éditions Un jour / Une nuit, Montfavet, décembre 2013, 116 pages ; 12 €. Illustrations de José Nuyts.

            Partisan d’un théâtre « comico-maquisard » et citoyen indigné – comme l’était Mirbeau (auquel il se réfère) – par le pouvoir exorbitant que les multinationales prédatrices et les banksters cyniques ont accaparé impunément, histoire de mieux saccager la planète et de piller ses ressoures naturelles non renouvelables, cet homme-Protée qu’est l’acteur-auteur Daniel Villanova ne pouvait pas laisser passer sans réagir les menaces que faisaient peser sur sa région du Languedoc, où il vit, travaille et joue, les forages préliminaires à une exploitation des gaz de schiste. À l’instar des républicains espagnols prêts à sacrifier leurs vies pour arrêter l’avancée des fascistes de Franco et criant « No pasarán ! », il sonne le tocsin, cherche à mobiliser les populations menacées et à susciter la résistance de ceux qui, refusant la mortifère croissance productiviste à n’importe quel prix, vont criant : « No gazarán ! » C’est en effet d’un théâtre de résistance qu’il s’agit, où un homme seul, à la façon des lanceurs d’alerte, mais avec les armes, non seulement de l’humour, de la satire et des mots, mais aussi des intonations, des gestes et des mimiques propres au théâtre, entend secouer et conscientiser des masses anesthésiées ou crétinisées par la langue de bois des politiciens, les divertissements débiles offerts sur les « étranges lucarnes » et les fallacieuses promesses des publicitaires et autres vendeurs d’orviétan. 

Après avoir dézingué par le rire le grotesque potentat du Sarkozistan dans Jean-Charles président1, et avoir ainsi, à sa manière, contribué à son éviction du pouvoir, Daniel Villanova s’en prend cette fois à tous les conteurs de fariboles, prétendus experts et politiciens, de droite comme de “gauche”, jetés dans le même sac d’infamie, qui mettent leur talent oratoire, leurs « grimaces » de respectabilité et leurs prétendues compétences techniques au service des multinationales de l’Empire américain, pour qu’elles puissent proclamer fièrement : « Yes we gaz ! ». Il nous invite clairement à nous engager contre tous les « seigneurs » de notre époque, qui sont décidément « des salauds », selon le mot de Georges Pérec. Une nouvelle fois il situe son action dans le fictif village héraultais de Bourougnan et remet en scène les personnages pittoresques auxquels il a su donner vie et qu’il incarne tous, à tour de rôle, sur la scène : Lucette, avec son franc-parler et ses formules-chocs (« François Hollande, c’est Ségolène Royal, avec moins de couilles »), son mari Raymond, ouvrier à la retraite, son frère Émile aux énormes « panards », Robert, qui nargue les radars du haut de son tracteur-bolide, Paquita, femme au foyer qui passe pour folle et parle un sabir franco-espagnol de cuisine (c’est le cas de le dire), et le fameux Jean-Charles, surnommé Kiwi, avec son syndrome de Tourette, qui s’en « cague de tout » et qui, pour échapper au bourrage de crânes et au « tout va mal mais on n’y peut rien » des actualités télévisées, a enterré son poste de télévision dans le fond du jardin… Naturellement, c’est l’idiot du village, qui s’avère plus lucide que tous ses compatriotes et qui a des chances d’éveiller leur conscience et, peut-être, de faire reculer l’envahisseur qui menace de tout détruire sur son passage :  envoyé « au diable », Jean-Charles prend la formule au pied de la lettre et, après Ulysse, Orphée, Énée et Dante, se rend en enfer, où il croise bien des puissants de chez nous, curieusement métamorphosés, pour y solliciter le soutien de Belzébuth himself, dont la tranquillité est troublée par les bruyants bouleversements en cours au-dessus de sa tête…

Daniel Villanova n’épargne personne, ni les politiciens, menteurs sans vergogne qui « font toujours peur », ni les journalistes serviles, qui ne savent plus mordre que « dans leur bifteck » ; et le pape Bergoglio (« Habemus pampa ! »), Montebourg, Rocard, Pujadas, Laurent Joffrin, Christine Lagarde, Hollande, Valls, Ayrault et tutti quantien prennent pour leur grade – surtout les socialistes, à vrai dire, car ils n’ont eu de cesse de trahir leurs promesses de campagne et de se mettre au service du big business, qui les a chargés de « museler les peuples » : tous ces gens-là sont « consanguins – en un seul mot, bien entendu »… Comme quoi la fantaisie, le burlesque échevelé, l’invention loufoque et le pittoresque d’une langue jubilatoire, loin de ne susciter qu’un rire superficiel et complaisant, sont bien des armes permettant à Daniel Villanova de poursuivre un combat à la fois éthique et éminemment politique.

Bien sûr, le texte écrit ne saurait rendre l’effet produit sur scène par notre prodigieux Fregoli du Languedoc. Mais, en attendant le DVD, qui devrait paraître au cours de l’année 2014, on a du moins une idée de l’atmosphère où Daniel Villanova fait s’agiter ses personnages grâce aux illustrations de la dessinatrice néerlandaise José Nuyts, qui unit charme, simplicité, empathie et fantaisie.

Pierre Michel

 

1. Voir notre compte rendu dans les Cahiers Octave Mirbeau, n° 20, 2013, pp. 319-320. Voir aussi son témoignage, « La Gaie saveur du gai savoir (de la tourte au fromage à Octave Mirbeau) », ibid., pp. 224-228.

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